Vieillissement de la personne déficiente mentale

Les problèmes posés par le vieillissement des personnes souffrant d’un handicap physique ou  mental prennent une importance croissante et ils ne devraient faire que s’amplifier dans les années à venir. En effet, le nombre des personnes handicapées approchant l’âge de soixante ans ne cesse de croître pour diverses raisons telles que la vague démographique de l’après-guerre, les progrès de la médecine ou l’amélioration de la prise en charge des personnes. D’une façon générale, les personnes handicapées, qui connaissent plutôt que les autres un certain nombre de symptômes du vieillissement, vivent plus longtemps qu’autrefois. Cette situation heureuse s’accompagne de questions nouvelles dont la prise en charge de personnes vieillissantes en perte d’autonomie et leur régression.

En tenant compte de la réalité économique et des dispositifs actuels mis en place dans notre pays pour les personnes handicapées mentales, je me suis posé la question du devenir de ces usagers.

Au vu de mes diverses expériences en tant qu’éducateur technique spécialisé, je m’interroge sur la continuité de la prise en charge institutionnelle des personnes adultes handicapées dans les structures accueillantes.

La question du passage du statut de personne handicapée à celui de retraité m’a particulièrement interpellé. Les difficultés à les accompagner en Foyer ou les observations effectuées sur le terrain m’ont amené à poser les questions suivantes : le passage du statut de personne handicapée à celui de retraité est-il préparé par les équipes éducatives sur le terrain ? Et si oui, comment les institutions aménagent-elles ce passage crucial dans la vie de tout un chacun ?

Dans cet exposé, je présente dans un premier temps les éléments constitutifs du changement de statut, avec les spécificités relatives aux personnes en situation de handicap.

Je développe ensuite, les modalités d’accompagnement observées sur le terrain ou découvertes au travers de mes recherches ou mes analyses. Ainsi, j’aborderai la préparation à la cessation d’activité en Foyer et je traiterai du rôle éducatif dans la prise en charge des personnes vieillissantes en foyer.

 

Les personnes handicapées sont réputées inaptes à partir de 60 ans. A cet âge, les bénéficiaires basculent dans le régime de retraite pour inaptitude. Par ailleurs, les mesures prévues par la loi du 21 août 2003 sur la réforme des retraites ont institué une possibilité de retraite anticipée

 

Ce changement de statuts entraîne des modifications à d’autres niveaux : les ressources financières, le lieu d’hébergement ainsi que le changement de statut social.

La question des ressources est une question complexe et n’est pas, a priori, du ressort de l’éducateur spécialisé. Pourtant cet élément m’a interpellé comme un élément problématique au moment du passage à la retraite.

Comme de nombreux travailleurs qui partent à la retraite, les personnes handicapées que j’ai rencontré se montrent très sensibles aux questions d’argent. Ainsi, la perspective d’une quelconque cessation d’activité peut être source d’une grande anxiété pour ces personnes dont les revenus, parfois modestes, peuvent diminuer considérablement.

A 60 ans, les travailleurs en E.S.A.T qui n’ont pas suffisamment cotisé perçoivent de nouvelles prestations qui doivent leur permettre de bénéficier d’un minimum de ressources garanti, correspondant au montant du « Minimum Vieillesse ». De manière générale, les bénéficiaires ne perçoivent plus d’AAH, sauf si le plafond du minimum ressources n’est pas atteint, sous la forme d’une allocation différentielle.

Au vu de ces informations quelque peu techniques, j’en conviens, il apparaît que l’administration confère un nouveau statut juridique aux personnes handicapées retraitées, celui de personnes âgées. Ainsi ce statut de personne âgée donne lieu à changer de lieu de vie

 

Lorsque les personnes handicapées partent à la retraite, une nouvelle question émerge, celle du lieu de vie. Cette question se pose d’autant plus pour les personnes résidant en foyer de vie depuis parfois des décennies. Dès lors, le choix d’un nouveau lieu de vie s’avère nécessaire. Plusieurs options sont envisageables :

  • Le retour au domicile familial, peu commun malgré.
  • Un déménagement vers un nouveau lieu de vie, qu’il s’agisse d’une structure pour personnes âgées ( EHPAD ) ou foyer d’accueil médicalisé, qui accueillent et assurent un accompagnement jusqu’en fin de vie.
  • En famille d’accueil agréée par le conseil général

Dans tous les cas, le choix du lieu de vie après la cessation définitive d’activité doit tenir compte du degré d’autonomie et de l’état de santé de la personne. Bien sûr, le nombre de places disponibles est un facteur déterminant quant à l’orientation envisagée.

Au moment du passage de statut « d’handicapé » à celui de retraité, on ne peut nier ses conséquences au niveau social.

Notre société, malgré le fait que le plein emploi n’existe pas, porte un regard réprobateur sur celui ou celle qui ne travaille pas. Le travail donne un statut, ouvre des droits, donne une place dans la société. Participer à la vie économique constitue d’ailleurs un moyen majeur d’intégration. Il en va de même pour les travailleurs handicapés. Le travail est valorisant et valorisé. Il est présenté comme la clé d’une insertion sociale et il semble au travers des expériences passées qu’il est vécu comme tel pour certaines personnes handicapées. C’est dire la force des représentations autour du travail dans notre société, pris comme valeur centrale, représentations véhiculées par l’entourage y compris les travailleurs sociaux. Ainsi, la personne handicapée semble reconnue par ce statut de travailleur qui finalement, peut-être, met à distance la « tare », le « stigmate ».

Qu’en est-il de ce statut au passage de la retraite ? Au fil des années de travail au sein d’un groupe, de mes lectures et des informations récoltées, j’ai pris conscience du flou qui existe autour de l’identité du travailleur handicapé à la retraite. Il ne travaille plus, certes, mais de plus, tout ce qui s’organise autour de lui laisse penser qu’il a perdu sa place.

J’ai pu observer ces symptômes lorsqu’une personne se trouve confrontée à une situation nouvelle pouvant être source d’un mal-être. Monsieur X est un homme qui n’a connu l’activité que dans le cadre Médico-Social (E.S.A.T). Les effets du vieillissement, associés au vécu d’évènements personnels et le traitement thérapeutique que suit M. X depuis plusieurs années, ont engendré une fatigabilité importante. Une réduction de ses capacités physiques et d’endurance dans des postures professionnelles qui lui sont difficile à tenir. (Manutention de charges lourdes, cadences élevées et temps long dans la réalisation d’une double tache).

Cette transformation s’est traduite par une position de retrait, une baisse de motivation et le déni d’une certaine réalité.

Il a fallu l’aider, pour lui permettre de sortir de son isolement. L’activité, cette forme d’approche médiatrice l’a aidé à retrouver une place. L’objectif, est d’éviter une usure prématurée et surtout une accélération des effets du vieillissement.

L’activité dans un cadre bien repéré doit avoir comme finalité à l’aide de la technique de permettre un maintien et un développement des acquisitions de la personne.
Une réalité économique oblige ces établissements médico-sociaux à une production pressante.
Ceci pose les réflexions suivantes :

Quel est, et comment assurer une place à une personne handicapée vieillissante ?

Comment accompagner  ces personnes en fin de parcours en tenant compte de leurs fatigabilités, leurs manques de motivations, leurs soucis, leurs inquiétudes et pour certaine une dégénérescence ou une aggravation de leurs pathologies?

Actuellement pour tenter de répondre aux nouveaux besoins des personnes, je propose de mettre l’accent sur l’accueil qui je pense est fondamental, une écoute   avec une attention soutenue concernant les inquiétudes exprimées. Je veillerai à leurs intégrations au sein du collectif de travail, les postes de travail doivent être adaptés en tenant compte de leurs besoins. Les outils proposés antérieurement ne sauraient suffire pour répondre aux besoins dans l’accompagnement de personnes vieillissantes. Celui –ci est orienté vers la socialisation et le développement personnel des usagers et se concrétise par des activités extra professionnelles : actions visant au maintien des acquis et à l’autonomie dans la vie quotidienne (informatique, repassage du linge …), activités d’expressions artistiques ou sorties culturelles, transferts de quelques jours visant à apprendre aux usagers à gérer leur temps extra professionnel. Je propose de constituer pour la personne  avec son consentement la mise en place d’un livret personnel retraçant son historique dans l’atelier avec l’ensemble des éléments constitutifs de son parcours de travailleur. Par ailleurs cet objectif permet à la personne de témoigner de son parcours professionnel.

 

Les réactions des usagers ayant cessé leur activité professionnelle sont à nuancer ; elles peuvent aller des plus négatives (dépression, sentiment d’inutilité, d’isolement) aux plus enthousiastes et optimistes (la retraite étant vécue comme une délivrance).

Certains redoutent en effet un manque d’activité et de relations sociales une fois qu’ils auront cessé toute activité professionnelle. Les personnes considérées comme inaptes au travail, en vieillissant, voient leurs besoins en matière d’accompagnement et de soins médicaux s’accroîtrent. Ainsi, l’accompagnement éducatif va se mettre en place suivant plusieurs modalités inhérentes au changement de statut pour la personne handicapée. Le travail se mettant en place se situe autour de la préparation au changement de statut.

Afin d’aborder la personne sur ses besoins, ses envies qu’elle exprime pour son futur, l’équipe éducative s’appuiera sur son projet individualisé et les moyens à disposition dans son environnement.

 

Dans le cadre de la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale l’usager et l’équipe élabore un projet individualisé. Ce projet s’élabore autour des besoins exprimés par la personne et des besoins repérés par l’équipe éducative. Lors l’approche de la cessation d’activité pour la personne handicapée, certains points d’accompagnements me paraissent évident pour aménager le futur statut de la personne.

 

Avec le passage à la retraite, les travailleurs handicapés voient leurs ressources financières diminuer ce qui peut générer une certaine inquiétude. Ceci implique un travail de réseau avec les personnes concernées pour désamorcer  ces inquiétudes.

De par « l’altération de leurs facultés personnelles » (article 488 du code civil) les résidents du foyer d’hébergement sont déclarés majeurs protégés par le juge des tutelles. Il est donc primordial pour l’éducateur de travailler en partenariat avec les différents tuteurs ou curateurs, famille ou organismes tels l’U.D.A.F. (Union Départementale des Affaires Familiales) ou l’A.T.D.I. (Association Tutélaire Départementale des Inadaptés) afin d’apaiser les éventuelles angoisses concernant les questions d’argent. De part sa proximité avec l’usager, l’éducateur va discuter et exposer les modalités du changement de ressource financière. Cette démarche peut permettre à l’usager d’anticiper le changement de vie et se préparer à l’arrêt du travail.

 

La cessation d’activité professionnelle définitive implique un changement d’identité, soit le passage du statut de « personne handicapée » reconnu par la C.D.A.P.H. à celui de retraité. Une retraite progressive est donc à privilégier. Elle ne doit pas être une rupture brutale d’avec le milieu professionnel pouvant générer une perte des acquis, une régression, un ennui, mais un passage vers une nouvelle étape de la vie.

 

Pour favoriser ce passage vers une nouvelle vie et un nouveau statut, l’éducateur en foyer de vie préparera, avec l’usager, une avancée progressive dans le processus de leur cessation d’activité définitive. Dans ce sens l’éducateur favorisera des espaces de paroles qui pourront être mis en place dans les foyers de vie  afin de permettre l’expression libre des angoisses, des souvenirs mais aussi des projets. De plus, une approche singulière de l’usager ouvrira vers une prise en considération, des propres représentations de la personne liées au changement de statut, au vieillissement, à son age.

Cette approche singulière offre un espace contenant visant à rassurer l’usager sur son devenir après sa cessation d’activité qu’elle soit salariale ou ludique. A partir de ce travail de proximité l’équipe pourra proposer une ouverture vers de nouveaux centres d’intérêts.

 

Avec le passage à la retraite, le temps libre, non contraint augmente.

Aider, accompagner la personne à gérer ce temps libre afin qu’il ne devienne pas un temps vide facteur d’angoisse, est essentiel. Ainsi l’éducateur, pourra proposer, selon le projet individualisé des usagers, des activités stimulantes visant à maintenir les acquis, développer les intérêts, lutter contre l’isolement, prévenir toute forme de régression en veillant à ne pas les « sur solliciter ». Suivant les choix de la personne et ses possibilités (financières, de mobilité géographique, de capacités physiques…) un travail de recherche ou de maintien d’une activité pourront être envisagés.

 

Selon Nancy Breitenbach dans son ouvrage « Une saison de plus », les déplacés sont les personnes en situation de handicap qui doivent quitter leur lieu de vie en milieu institutionnel parce qu’elles sont devenues trop « vieilles » pour y rester.

La présence en foyer de vie des personnes accueillies est conditionnée par leur activité . Or, la majorité des travailleurs handicapés vieillissants souhaitent continuer à y vivre après leur cessation d’activité. Quitter le foyer de vie pour une nouvelle structure est généralement source d’angoisse. Cependant, le maintien n’est pas toujours une solution pertinente pour tous. Certains usagers travaillant et résidant sur le même site peuvent éprouver une usure institutionnelle si bien qu’une fois retraités ils préfèrent quitter l’établissement.

 

Quelles solutions d’hébergement s’offrent alors à elles lors de leur cessation définitive d’activité professionnelle ?

Face à l’accroissement du nombre de personnes handicapées vieillissantes, les solutions d’accueil se sont diversifiées. Plusieurs types de réponses existent :

-          le maintien dans leur lieu de vie après leur cessation définitive d’activité.

-          le déménagement vers un nouveau lieu de vie (maison de retraite, E.H.P.A.D.,F.A.M., famille d’accueil).

Les personnes ayant cessé leur activité professionnelle définitivement devraient pouvoir choisir leur futur lieu de vie. Or, ce choix doit s’inscrire dans le projet individualisé de chaque personne handicapée en tenant compte de sa dépendance, de son état de santé, de son choix et de ces ressources pour trouver une structure adaptée.

Un accompagnement individuel s’avère alors nécessaire afin d’aménager le départ du foyer de vie vers un autre lieu de vie. Cette démarche amène à être attentif aux désirs, aux projets de la personne, et à le sécuriser quant à son avenir. Elle s’accompagne, également, d’un recensement avec l’usager des possibilités en terme de futur lieu de vie. Ceci peut impliquer des déceptions, des surprises pour la personne quant aux choix possibles. L’éducateur sera, alors, médiateur entre les désirs de la personne et les réalités propres aux conditions d’hébergements dans notre société de la personne handicapée vieillissante.

Dans certains cas le déménagement s’avère difficile car facteur d’angoisse. Cette angoisse peut prendre sa source dans le fait de ne pas connaître son futur logis, d’en avoir des représentations effrayantes. Ainsi, certaines structures proposent un accueil temporaire sur une petite période d’adaptation pour permettre à la personne de faire son choix. Cet accompagnement par l’équipe éducative est nécessaire pour éviter que les personnes handicapées retraitées ne soient déplacées au risque d’une rupture parfois brutale. Selon les personnes, l’équipe pourra envisager de maintenir des liens dans le nouveau lieu de vie.

C’est ainsi que « le vieillissement » des personnes en situation de handicap interroge d’abord de l’intérieur les capacités de réponses du secteur adulte handicapé, et interpelle en ricochet tout le secteur gérontologique.

Sachant que le vieillissement fait et fera partie du voyage, nous sommes encore à ce jour dans une période intermédiaire. Les premières générations reconnues de personnes handicapées mentales vieillissantes nécessitent de développer concrètement dans l’avenir, des modalités de réponses cohérentes, décentes et adaptables, à l’échelon des projets individualisés.

 

 

Ce travail de réflexion sur le thème «  Le vieillissement de la personne handicapée » m’a permis de m’interroger sur mes pratiques professionnelles dans l’établissement dans lequel je travaille. Ceci m’a amené à réfléchir sur les perspectives possibles pour les personnes  accompagnées au quotidien.

Il me semble que la question de la « continuité » est indispensable pour que la personne ne soit pas déracinée de son réseau relationnel et qu’elle puisse intégrer pleinement son nouveau lieu de vie. Le travail en partenariat  est nécessaire pour accompagner au mieux la personne dans sa globalité et lui permet d’être acteur de son projet.

Ces modalités de prise en considération de la personne, offre un climat de sécurité permettant d’aménager ce passage vers un nouveau statut.

Au regard de notre société et l’avancée en âge des personnes en situation de handicaps, le passage vers un nouveau statut amène l’éducateur à réfléchir sur sa posture professionnelle afin d’entendre la demande singulière de chaque personne et les enjeux qui en découlent.

 

Photos : Photos Libres

 

 

Prochaines parutions :

- L’augmentation des TOC du au vieillissement.

- L’accueil en EHPAD

 

 

 

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